La Production

Dans une économie d’échange, les dotations sont données. Pourtant, les dotations ne tombent pas du ciel généralement. De plus, plusieurs biens doivent être produits à l’aide d’autres biens. L’économie est constituée de consommateurs, certes, mais aussi de producteurs.

Pourquoi les entreprises existent-elles? Ronald Coase propose une explication simple: les entreprises sont des organisations qui servent à internaliser les coûts de transaction pour produire des biens, ou donner des services. Sans ces organisations, difficile de produire à faible coût des ordinateurs portables, des meubles. Il existe des rendements à l’échelle qui fait en sorte que les entreprises peuvent produire de grandes quantités de biens à faibles coûts. Elles permettent aussi l’innovation, en réunissant ensemble les cerveaux.

Dans cette séance, nous abordons les décisions de l’entreprise (plutôt que le consommateur). L’entreprise produit un bien (ou plusieurs) qu’elle vend sur les marchés (offre). Elle demande des inputs pour produire ce bien. Finalement, dans un équilibre général avec production, extension naturelle de l’équilibre général d’échange, elle est détenue par certains consommateurs, qui tirent un revenu provenant de ses profits. En somme, l’entreprise n’est qu’un intermédiaire.

La fonction de production

La firme a des inputs qu’elle transforme en output. La fonction de production \(F(\cdot)\) accomplie cette transformation. La fonction de production peut être estimée à l’aide de l’économétrie, en collaboration peut-être avec les ingénieurs.

Exemple: un input et un output

  • e.g. Mine de fer — input: travail \(L\), output: fer \(Y = F(L) = \sqrt{L}\)

La fonction de production détermine les contraintes. Étant donné une quantité d’input, l’entreprise ne peut produire qu’une certaine quantité d’output.

Exemple: Deux inputs, one output

  • Inputs: Minerai de fer (\(I\)), Charbon (\(C\)) — Output: Acier (\(S\))

On pourrait par exemple penser à une fonction:

\[S(I,C) = A I^{\alpha}C^{\beta}\]

Avec des données sur la quantité d’acier produite, la quantité de minerai et de charbon utilisée dans le temps \(t=1,...,T\) , on peut estimer les paramètres en transformant la fonction de production:

\[\log S_t = \log A_t + \alpha \log I_t + \beta \log C_t + \epsilon_t\]

\(A_t\) est un facteur de productivité multifactorielle et \(\epsilon_t\) est un aléa. Ainsi \(\alpha\) et \(\beta\) peuvent être estimés, sous certaines conditions concernant \(\epsilon_t\) et sa relation avec \((I_t,C_t)\).

Taux marginal de substitution technique

Il y a pénurie d’un input \(Z\). Le directeur de l’usine vous demande: combien de \(X\) de plus aura-t-on besoin pour palier à la baisse de \(Z\) tout en gardant la production de \(Y\) constante?

Considérons la fonction de production \(Y = F(X,Z)\). Prenons la différentielle totale:

\[dY = F'_X(X,Z)dX + F'_Z(X,Z)dZ\]

La productivité marginale de chacun des inputs est donnée par \(F'_i(X,Z)\) pour \(i=X,Z\). Elle donne la production de \(Y\) qu’on obtient en augmentant marginalement un input et en gardant les autres constants.

Fixons \(dY = 0\). On obtient le taux marginal de substitution technique:

\[TMST = \frac{dZ}{dX} = -\frac{F'_X(X,Z)}{F'_Z(X,Z)}\]

Au lieu de courbe d’indifférence, nous avons des isoquantes dans l’espace \((X,Z)\) qui donne les combinaisons d’input qui produisent une quantité d’output constante. Le TMST est la pente de ces isoquantes.

Il nous donne la quantité de \(Z\) qu’on peut économiser si on augmente \(X\) marginalement. Il est négatif parce que la fonction de production est généralement croissante dans les deux inputs (productivités marginales positives).

À faire

Exercice A: Trouvez le TMST pour \(Y=X^{\alpha} Z^{\beta}\)

À faire

Voir cet exemple sur EconGraph.org.

Les rendements à l’échelle

Le directeur de l’usine souhaite doubler la production. Il vous demande: dans quelle proportion on doit augmenter les achats d’inputs? La productivité marginale ne nous est pas utile pour deux raisons: elle mesure un effet marginal (doubler est loin d’être marginal) et elle mesure l’effet marginal gardant les autres inputs constants. Or la question du directeur ne garde pas les inputs constants. On fera appel à l’homogonénéité de la fonction pour qualifier les rendements à l’échelle.

Une fonction de production a des rendements à l’échelle:

  • constant: si \(F(X,Z)\) est homogène de degré 1

  • croissant: si \(F(X,Z)\) est homogène d’un degré plus grand que 1

  • décroissant: si \(F(X,Z)\) est homogène d’un degré plus petit que 1

À faire

Exercice B: Considérez la fonction \(Y=F(X,Z)=A X^\alpha Z^\beta\). Quels sont les rendements à l’échelle de la fonction?

Minimisation des coûts

Les TMST et les rendements à l’échelle caractérisent bien la fonctiond de production. Maintenant que nous comprenons les capacités techniques de l’entreprise, nous pourrions nous demander quel serait le meilleur choix d’inputs pour un niveau d’output donné. Pensons à une entreprise qui essaie de réduire ses coûts mais ne cherche pas nécessairement à changer son niveau de production.

Étant donné un niveau de production \(Y\), quel est le meilleur choix des inputs?

\[\min_{X,Z} \{ p_X X + p_Z Z : F(X,Z) \ge Y \}\]

Posons le lagrangien:

\[L(X,Z,\mu) = p_X X + p_Z Z + \mu(Y-F(X,Z))\]

Les CPO sont:

\[p_X - \mu F'_X(X,Z) = 0\]
\[p_Z - \mu F'_Z(X,Z) = 0\]
\[F(X,Z) = Y\]

On peut simplifier pour obtenir les deux équations:

\[\frac{p_X}{p_Z} = \frac{F'_X(X,Z)}{F'_Z(X,Z)}\]
\[F(X,Z) = Y\]

La première équation nous donne le mix des inputs qui est optimal. Il doit être tel que le \(TMST\) est égal au prix relatifs des inputs. Le prix relatif donne ce que coûte en unité de \(Y\) une unité de \(X\). Si ce coût est plus faible que l’économie de \(Y\) que l’on fait en augmentant \(X\), on peut augmenter \(X\) et réduire les coûts totaux. Au point où le \(TMST\) est égal au prix relatif des inputs, il n’y a plus d’économie à faire. On a minimisé les coûts.

La deuxième contrainte vient appliquer le mix des inputs trouvé avec la première équation au niveau de production choisi en terme de \(Y\). C’est là que peuvent intervenir les rendements à l’échelle.

La solution à ce système d’équation est une paire de demandes conditionelles pour les inputs

\[X(p_X,p_Z,Y),\quad Z(p_X,p_Z,Y)\]

On les dit conditionnelles parce qu’elles dépendent d’un niveau d’output fixe.

À faire

Exercice C: Trouvez les demandes conditionnelles pour \(Y=X^{1/2} Z^{1/4}\).

Quelles sont les propriétés de ces fonctions?

  • Homogène de degré zéro en \((p_X,p_Z)\)

  • Symmétrique: \(\frac{\partial X(p_X,p_Z,Y)}{\partial p_Z} = \frac{\partial Z(p_X,p_Z,Y)}{\partial p_X}\)

  • Effets prix négatifs: \(\frac{\partial X(p_X,p_Z,Y)}{\partial p_X}<0\).

Fonction de coût

En substituant les demandes condionnelles on peut obtenir la fonction de coûts

\[C(p_X,p_Z,Y) = p_X X(p_X,p_Z,Y) + p_Z Z(p_X,p_Z,Y)\]

Cette fonction nous donne pour des prix et une quantité d’output donnée, le coût total qui minimise les coûts. Pour faire un parallel avec la théorie du consommateur, la fonction de cout est comme la fonction d’utilité indirecte. Elle résume la valeur (minimale) qui peut être atteinte à la solution optimale du choix des inputs. Ainsi, elle ne dépend que des prix et du niveau d’output.

Propriétés:

  • Non-décroissante en \((Y,p_X,p_Z)\)

  • Homogène de degré 1 en \((p_X,p_Z)\)

  • Concave en \((p_X,p_Z)\)

Parfois on a des données sur les coûts, les prix ainsi que les inputs mais pas l’output. On peut alors estimer les paramètres de la fonction de production par la fonction de coûts.

À faire

Exercice D: Trouvez la fonction de coût pour \(Y=X^{1/2} Z^{1/4}\).

Coût marginal

Le coût marginal de produire un output (en minimisant les coûts) est donné par:

\[c(p_X,p_Z,Y) = \frac{\partial C(p_X,p_Z,Y)}{\partial Y}\]

On utilise la convention de \(c\) minuscule dénote le coût marginal et C majuscule, les coûts totaux.

À faire

Exercice F: Trouvez le coût marginal pour \(Y=X^{1/2} Z^{1/4}\).

Si la fonction de production a des rendements à l’échelle qui sont:

  • Constant: \(C(p_X,p_Z,Y)\) est linéaire en \(Y\), \(c(p_X,p_Z,Y)\) est constant.

  • Croissant: \(C(p_X,p_Z,Y)\) est concave en \(Y\), \(c(p_X,p_Z,Y)\) est décroissant.

  • Décroissant: \(C(p_X,p_Z,Y)\) est convexe en \(Y\), \(c(p_X,p_Z,Y)\) est croissant.

À faire

Regardez cet exemple de EconGraph.org.

La Production en Action

Voir cette entrevue avec Robert Gagné, Professeur titulaire à HEC Montreal.

Maximisation des profits

La firme minimise ses coûts mais doit aussi choisir son niveau d’output. Donc, plus généralement, elle doit maximiser ses profits.

Les profits sont donnés par:

\[\Pi = R - C\]

\(R\) représente les revenus et \(C\), les coûts. Étant donné un input \(X\) et output \(Y = F(X)\), les couts et les revenus sont donnés par:

\[C(X) = p_X X , \quad R(Y) = p_Y Y\]

Les profits sont donc, en exprimant en terme de \(X\):

\[\Pi(X) = p_Y F(X) - p_XX\]

Maximiser les profits implique:

\[p_Y F'(X) - p_X = 0 \iff F'(X) = \frac{ p_X}{p_Y}\]

À faire

Exercise E Supposons \(F(X) = \sqrt X\), trouvez le choix de \(X\) qui maximise les profits.

L’offre de la firme est donnée par \(Y^* = F(X^*)\).

À faire

Exercise F supposons que \(F(X) = \sqrt X\), trouvez l’offre de l’entreprise pour \(Y\).

Quand on a deux inputs et un output, on peut procéder de la façon suivante:

  • Minimisation des coûts pour \((X,Z)\) en fonction de \(Y\).

  • Maximisation des profits pour \(Y\) en utilisant la fonction de coûts (fonction de \(Y\)).

À faire

Exercice G Pour \(Y=X^{1/2} Z^{1/4}\), trouvez l’offre de \(Y\).

Économie de production

En situation d’échange, nous avons été capable de définir l’équilibre de marché ainsi que l’optimum de Pareto. Dans une économie de production, on peut faire la même chose. Il faut rajouter une entreprise et spécifier ce qu’elle produit, et avec quels biens. Il faut aussi répartir ses profits, s’il y en a, auprès des consommateurs, actionnaires. En équilibre général, rien ne se perd …

Considérons une situation avec deux biens: \(X\) et \(Y\). L’entreprise a une fonction de production \(Y = F(X)\).

Comportement de la firme

  • Étant donné les prix \(p_Y\) et \(p_X\) l’entreprise maximise ses profits.

    \[\Pi(X) = p_Y F(X) - p_X X\]
  • On peut trouver la demande de l’input \(X^{F,d}(p_X,p_Y)\), l’offre de l’entreprise \(Y^{F,s}(p_X,p_Y)\) et les profits, s’il y en a \(\Pi\).

Comportement des consommateurs

  • On a deux consommateurs C1 et C2

  • Les préférences des consommateurs sont représentées par \(U_1(X, Y)\) et \(U_2(X,Y)\)

  • Le consommateur 1 a une dotation \((X^{C1,e}, Y^{C1,e})\) alors que le consommateur 2 a \((X^{C2,e}, Y^{C2,e})\)

  • Chaque consommateur a une participation aux profits dans l’entreprise \(\rho_{1}\) et \(\rho_2 = 1- \rho_1\).

Ainsi, le consommateur 1 (même chose pour 2) doit résoudre

\[\max_{X,Y} \left[U_1(X,Y): p_{X} X + p_{Y}Y \leq p_{X}X^{C1,e}+ p_{Y}Y^{C1,e} + \rho_{1}\Pi \right]\]
  • Donne les demandes du consommateur 1: \(X^{C1,d}(p_X,p_Y)\) et \(Y^{C1,d}(p_X,p_Y)\)

L’équilibre de marché

On peut normaliser \(p_{X} = 1\) et donc \(p_{Y} = p\) (voir le cours sur l’échange si pas clair). Étant donné \(p\), on peut trouver les demandes \(X\) et \(Y\) pour chaque consommateur, la demande de \(X\) de l’entreprise et l’offre \(Y\) de l’entreprise.

Le marché pour \(X\) est en équilibre au prix \(p\) si et seulement si

\[X^{C1,d} + X^{C2,d} + X^{F,d} = X^{C1,e} + X^{C2,e}\]

La loi de Walras s’applique et si \(p\) est le prix d’équilibre pour le marché de \(X\), le marché de \(Y\) est aussi en équilibre.

Un exemple…

Supposons

  • Production: \(F(X) = \log(1+X)\)

  • Préférences: \(U_1(X,Y) = U_2(X,Y) = \log X + \alpha \log Y\)

  • Dotations: \(X^{C1,e} = 2\) et \(X^{C2,e} = Y^{C1,e} = Y^{C2,e} = 0\)

  • Profits: \(\rho_1 =0\) et \(\rho_2 = 1\)

  • Prix: \(p_X = 1\), \(p_Y = p\)

Pour l’entreprise, la maximisation des profits donne

\[\max_X p\log(1+X) - X\;\; \Rightarrow \;\; X^{F,d} = p- 1 \;\; et \;\; Y^{F,s} = \log p\]

Les profits sont donc \(\Pi = p \log p - p+1\)

Du côté des consommateurs, étant donné un revenu, \(I\), les consommateurs maximisent l’utilité

\[\max_{X,Y} \left[\log X + \alpha \log Y : X + pY \leq I \right]\]

Les revenus sont donnés par \(I_1 = 2\) et \(I_2 = \Pi = p \log p - p +1\).

Les demandes sont

\[\begin{split}X^{C1,d} = \frac{1}{1+\alpha}I_1 \\ Y^{C1,d} = \frac{\alpha}{1+\alpha} \frac{I_1}{p} \\ X^{C2,d} = \frac{1}{1+\alpha} I_2 \\ Y^{C2,d} = \frac{\alpha}{1+\alpha} \frac{I_2}{p}\end{split}\]

Un équilibre de marché pour \(X\) est donné par:

\[X^{F,d} + X^{C1,d} + X^{C2,d} = X^{C1,e} + X^{C2,e} = 2\]

ce qui donne:

\[p-1 + \frac{2}{1+\alpha} + \frac{1}{1+\alpha}(p\log p - p +1 ) = 2.\]

Donc, le prix d’équilibre est la solution à \(\alpha p +p\log p = 3 \alpha\). On peut trouver numériquement \(p^*\) pour des valeurs de \(\alpha\).

Si on résume la méthode pour trouver un équilibre de production (peu importe le nombre de consommateurs, etc):

  • Étant donné les prix, la maximisation des profits donne les demandes d’inputs et l’offre d’output de la firme. On retrouve donc aussi les profits à redistribuer.

  • Étant donné les prix, les dotations et les profits de l’entreprise, on peut calculer le revenu et les demandes de chaque consommateur.

  • Des équations d’équilibre des marchés, on trouve la solution pour les prix d’équilibre.

Les théorèmes du bien-être s’appliquent, tout comme en échange. Une condition clé est que l’entreprise est preneur de prix concernant son output et de ses inputs. Elle n’est pas stratégique. Il existe des situations, comme nous le verrons, où l’entreprise peut tirer profit de la manipulation des prix.

Équilibre général en action

Voir cette entrevue avec Jean-Francois Nadeau de Finance Canada, sur l’utilisation des modèles d’équilibre général en analyse des politiques.

Exemple Python

Voici un exemple complet d’équilibre en production.

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